Le lancement de notre nouvelle aide auditive haut de gamme Oticon Intent™ a marqué une étape importante dans la compréhension des besoins d’écoute et des intentions de communication de l’utilisateur, afin de fournir au cerveau un soutien auditif individualisé et sans faille dans n’importe quelle situation.
Notre parcours pour développer cette technologie révolutionnaire BrainHearing™ basée sur des capteurs a commencé lorsque nous nous sommes posé une question clé : Comment pouvons-nous comprendre les intentions d’écoute de l’utilisateur et nous en servir pour fournir une aide auditive individualisée aux personnes souffrant de perte auditive ?
Nous avons cherché à savoir : Quelles sont les caractéristiques clés de la communication humaine qui révèlent les besoins et les intentions d’écoute ? Comment les gens se comportent-ils dans la vie réelle lorsque la communication devient difficile ? Les gens adoptent-ils des stratégies qui les aident à faire face à la complexité de l’environnement ? Et comment une aide auditive peut-elle détecter tous ces éléments et fournir une aide personnalisée à l’utilisateur dans n’importe quelle situation ?
Toutes ces questions nous ont amenés à mieux comprendre comment les mouvements de la tête et du corps, ainsi que les informations sur l’environnement, sont essentiels pour saisir les intentions d’écoute et révéler les difficultés de communication et les stratégies d’adaptation (pour une étude récente, voir Higgins et al., 2023). En tenant compte d’indices tels que les mouvements du corps et de la tête et l’environnement acoustique, nous pouvons comprendre comment l’utilisateur participe au monde. Ce sont ces idées fondatrices qui ont conduit au développement de la première aide auditive au monde dotée de capteurs d’intention de l’utilisateur : Oticon Intent.
Ce travail nous a également rapprochés de certains des principaux chercheurs en comportement de communication, tels que le Dr Lauren V. Hadley. C’est pourquoi nous avons invité le Dr Hadley au siège d’Oticon pour parler du « Comportement de communication des personnes âgées au cours de conversations en face à face », dans le cadre de la série de webinaires du réseau BrainHearing™.
Figure 1 Étapes de la communication verbale telles que définies par Kiessling et al. (2003) : Étape 1 : Entendre, Étape 2 : Écouter, Étape 3 : Comprendre et Étape 4 : Communiquer.
Présentation de l’intervention du Dr Hadley intitulée « Comportement de communication des personnes âgées au cours de conversations en face à face »
Lors de ce webinaire, qui a réuni des participants du monde entier, le Dr Hadley a fait part de ses avancées dans le domaine de la recherche sur les conversations. En particulier, le Dr Hadley s’est intéressée aux comportements que les gens manifestent lorsqu’ils éprouvent des difficultés au cours d’une conversation, à la signification de ces comportements et aux mécanismes cognitifs qui peuvent les sous-tendre.
Conversation et comportement : stratégies à adopter lorsque la communication devient difficile
« Comprendre ce qui rend une conversation difficile dépend de la façon dont on définit une conversation réussie », a expliqué le Dr Hadley. Quels sont les facteurs qui définissent une conversation réussie ? Dans une étude récente du laboratoire du Dr Hadley (Nicoras et al., 2023), il a été demandé à des personnes âgées, avec ou sans perte auditive, d’identifier les facteurs importants pour qu’une conversation soit réussie. Sept facteurs ont été identifiés. Les trois facteurs les plus importants sont les suivants :
- Pouvoir entendre facilement
- Le fait que l’interlocuteur parle de manière claire
- Participer et être accepté
En d’autres termes, en matière d’expérience d’écoute, ce qui était particulièrement important pour les personnes âgées, c’était de se sentir impliquées dans la conversation sans avoir à faire des efforts pour entendre. Une conversation difficile peut se produire lorsque l’un des facteurs de réussite n’est pas rempli, par exemple en présence d’un environnement bruyant ou d’une limitation de l’auditeur (par exemple, une perte auditive).
Des études antérieures ont montré que les personnes normo-entendantes peuvent utiliser différentes stratégies pour se faciliter la tâche ou celle de leur interlocuteur lorsque la conversation est difficile (voir le tableau 1 pour un résumé).
Stratégies basées sur la parole
- Parler plus fort1
- Parler plus lentement et faire plus de pauses2,3
- Fournir des informations plus simples
- L’auditeur peut demander des éclaircissements
Stratégies basées sur le mouvement
- L’auditeur peut détourner la tête de son interlocuteur pour optimiser l’audibilité4
- L’auditeur peut se rapprocher de son interlocuteur
Autres stratégies
- Utiliser des indices visuels (par exemple, gestes non verbaux5, lecture labiale6)
Tableau 1 Stratégies pouvant être utilisées lorsque la conversation est difficile. 1Zollinger et Brumm, 2011 ; 2Smiljanic et Bradlow, 2009 ; 3Hazan et Pettinato, 2014 ; 4Grange et al., 2018 ; 5Munhall et al., 2004 ; 6Grant et Seitz, 2000
Cependant, ces stratégies ont été principalement signalées dans des études où le locuteur et l’auditeur ont été étudiés séparément. « Comment ces comportements se manifestent-ils et interagissent-ils dans une communication réelle en face à face ? » C’est la question que s’est posée le Dr Hadley en présentant ses études sur le comportement conversationnel (Hadley et al., 2019, 2021). Dans le cadre de ces études, le Dr Hadley a demandé à des personnes âgées de participer à une conversation, en laboratoire, assises en groupes de deux ou trois personnes, tout en portant une couronne de suivi des mouvements de la tête et des traqueurs oculaires. Le niveau de bruit de fond a été systématiquement ajusté afin d’observer l’effet du bruit sur le comportement des personnes. Le Dr Hadley a constaté qu’à mesure que le niveau de bruit augmentait, les personnes utilisaient diverses stratégies d’adaptation, mais seulement dans une faible mesure et pas suffisamment pour compenser entièrement les difficultés supplémentaires.
En particulier, elle a constaté qu’à mesure que le bruit augmentait, les participants :
- parlaient plus fort
- parlaient moins longtemps (énoncés plus courts)
- rapprochaient leur tête de quelques centimètres
- regardaient de plus en plus la bouche de leur interlocuteur et de moins en moins ses yeux
- mais n’utilisaient pas l’orientation de la tête de manière optimale, c’est-à-dire que :
- les participants restaient orientés face à l’autre interlocuteur lors d’une conversation à deux
- les participants dirigeaient leur tête à peu près au milieu des deux autres interlocuteurs lors d’une conversation à trois, probablement en raison de considérations sociales
Dans l’ensemble, les participants semblaient utiliser des stratégies bénéfiques, mais pas de manière optimale. « Il semble que les participants soient passés à côté de certaines stratégies qui pourraient les aider », conclut le Dr Hadley.
Effets de la perte auditive
Le Dr Hadley a expliqué que les personnes souffrant d’une perte auditive ont souvent tendance à se retirer de la conversation (Jaworski et Stephens, 1998) ou à la dominer (réduisant ainsi le besoin d’écouter ; Sørensen et al., 2020). En outre, le tour de parole est moins fluide et plus variable lorsque les interlocuteurs souffrent d’une perte auditive (Petersen et al., 2022).
Dans le cadre d’une étude en cours, le Dr Hadley et ses collègues ont évalué le comportement et la dynamique de quatre personnes ayant une conversation, avec deux participants normo-entendants et deux participants souffrant d’une perte auditive. Les premières analyses indiquent que les participants souffrant d’une perte auditive parlent moins longtemps, se rapprochent plus de leurs interlocuteurs et passent plus de temps à s’orienter directement vers la personne qui parle, ils n’utilisent donc pas l’orientation de la tête de manière optimale. Ces comportements s’avérant similaires à la fois en réponse au bruit et en cas de perte auditive, le Dr Hadley s’est demandé s’ils pouvaient jouer un rôle d’indice social pour les autres, en plus d’être bénéfiques pour améliorer l’audibilité. En effet, si les interlocuteurs parviennent à identifier ces comportements comme un signe de difficulté, ils pourront apporter un meilleur soutien et s’adapter davantage.
Dans une étude de suivi, l’étudiant du Dr Hadley, Raluca Nicoras, s’est rendu compte que les observateurs étaient parfaitement capables d’identifier les participants souffrant d’une perte auditive lors d’une conversation de groupe, en particulier lorsque les participants n’étaient pas appareillés. Le Dr Hadley a conclu que « la perte auditive semble entraîner des changements de comportement observables que les autres peuvent saisir et utiliser pour mieux s’adapter ».
Conversation et cognition
Lors d’une conversation, les personnes doivent écouter (voir figure 1, étape 2), comprendre (figure 1, étape 3), préparer une réponse et produire une réponse (figure 1, étape 4). Étant donné que le tour de parole dans une conversation (la pause entre une personne qui arrête de parler et la personne suivante qui répond) est très rapide, les gens doivent prévoir dans une certaine mesure ce que l’autre interlocuteur va dire et quand il va terminer. Le Dr Hadley s’est posé la question suivante : « Ce type de prédiction est-il affecté par le niveau de bruit ou la perte auditive et pouvons-nous le mesurer au cours d’une conversation ? ». Hadley et Culling (2022) ont constaté que l’augmentation du niveau de bruit entraînait une plus grande variabilité et incertitude quant à la prédiction d’un tour de parole dans une conversation. En outre, les personnes souffrant d’une perte auditive éprouvent plus de difficultés à saisir le début d’une conversation et sont plus lentes à prédire la fin d’une phrase, comme l’a montré la récente étude oculométrique de Hadley, peut-être en raison d’une disponibilité réduite des ressources cognitives. Cette capacité de prédiction réduite peut entraver la capacité des personnes souffrant d’une perte auditive à suivre les conversations et à y participer.
Implications cliniques
Les personnes souffrant d’une perte auditive utilisent certaines stratégies bénéfiques lorsqu’elles sont confrontées à une conversation difficile, même si elles n’exploitent pas tout leur potentiel, et présentent également certains comportements qui peuvent ne pas s’avérer optimaux. Elles ont notamment tendance à faire face à leur interlocuteur plutôt que d’utiliser l’orientation de la tête de manière optimale pour améliorer l’audibilité (« Turn an ear to hear », Grange et al., 2018). Les recommandations des audioprothésistes quant au fait de tirer parti des orientations de la tête lorsque la situation d’écoute devient difficile pourraient apporter un avantage en termes d’audibilité. Cependant, le langage corporel et d’autres signes de difficulté à suivre une conversation peuvent en réalité aider l’interlocuteur à s’adapter subtilement et spontanément à la personne souffrant d’une perte auditive.
La perte auditive n’affecte pas seulement l’audibilité, mais aussi la disponibilité de processus cognitifs bénéfiques. Cela peut être dû à la perte elle-même ou à l’effort et aux ressources cognitives supplémentaires consacrés à l’écoute. Le Dr Hadley a souligné que « trouver des moyens d’aider les auditeurs à conserver une longueur d’avance et à utiliser la prédiction de manière efficace peut conduire à des avantages en termes de participation à la vie sociale ».
Principaux enseignements
Voici les principaux enseignements de l’intervention du Dr Hadley :
- Lorsque la situation d’écoute devient difficile, les gens peuvent adopter différentes stratégies pour améliorer leur expérience d’écoute. Cependant, toutes les stratégies ne sont pas exploitées de manière optimale lors d’une conversation en face à face.
- La perte auditive entraîne des changements de comportement observables que les autres peuvent détecter et utiliser pour mieux s’adapter à la personne souffrant d’une perte auditive. Le fait de « paraître malentendant » peut constituer un avantage en termes d’adaptation au cours d’une conversation.
- La perte auditive n’affecte pas seulement l’audibilité, mais aussi la disponibilité d’autres processus cognitifs bénéfiques.
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Références
Grange, J. et al. (2018). Turn an ear to hear: How hearing-impaired listeners can exploit head orientation to enhance their speech intelligibility in noisy social settings. In Proceedings of the International Symposium on Auditory and Audiological Research 9 - 16.
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